Un travail collectif pour s'adapter et anticiper le changement climatique

 

Le 18 mai 2022, le CNIPT, Comité National Interprofessionnel de la Pomme de Terre, organisait une conférence « Le défi du changement climatique pour la filière pommes de terre fraîches ». Invité par la filière, Bertrand Valiorgue, auteur de l’ouvrage « Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène », a présenté l’urgence dans laquelle il devient nécessaire d’adapter l’agriculture qu’il définit à la fois comme une cause et victime du changement climatique.

Un travail collectif pour s'adapter et anticiper le changement climatique

La nouvelle ère géologique dans laquelle nous évoluons actuellement est l’anthropocène soutient Bertrand Valiorgue. C’est l’époque où l’ensemble du système Terre subit les conséquences de l’action de l’Homme. La combinaison et les grands équilibres entre l’atmosphère, l’eau, le sol et la biodiversité se sont dérégulé.

Les aléas climatiques, de plus en plus nombreux, la multiplication des périodes de sècheresse ou d’intempéries détériorent les conditions de vie des plantes et des animaux. Les bioagresseurs et ravageurs migrent en suivant les conditions climatiques qui leur sont favorables et s’attaquent à des cultures qui ne les connaissaient pas et ont du mal à les combattre. Le nombre de jour de grosse chaleur (> 25°C) risque de doubler voire tripler suivant les différents scénarios annoncés par le GIEEC[1]. En parallèle, une forte imprévisibilité émerge et la critique sociale s’intensifie et se radicalise. Selon Bertrand Valiorgue, dans ce contexte, l’agriculture doit continuer d’exercer et s’adapter car l’alimentation est un enjeu majeur pour les futures décennies. En effet, le réchauffement climatique va pousser des populations affamées par l’appauvrissement des cultures en régions chaudes vers la recherche de nourriture. Des crises de la faim peuvent succéder aux crises économiques.

Le secteur agricole doit agir pour atténuer ces effets négatifs mais il est également nécessaire de préparer et d’anticiper les conséquences des dérèglements climatiques, en adoptant une agriculture à impact positif.

Selon Bertrand Valiorgue, 5 leviers sont à utiliser pour réduire l’impact de la filière face au réchauffement climatique : 1 – limiter les intrants, 2 – préserver la vitalité des sols et 3 – restaurer la biodiversité pour stocker du carbone, 4 – préserver les ressources en eau et enfin, 5 – améliorer le rapport énergie utilisée/énergie produite/énergie consommable par l’homme des productions agricoles et des exploitations.

Il faudrait inventer la pomme de terre bas-carbone lance Bertrand Valiorgue et cela ne doit pas se définir par une simple labellisation de pratiques agricoles ! Si l’agriculture régénératrice peut-être un modèle, il faut surtout la considérer, à l’échelle de l’exploitation, et pas seulement des parcelles pommes de terre, comme une agriculture à impact positif.

Luc Chatelain, Président du CNIPT, prend le premier la parole lors de la table ronde pour évoquer son inquiétude au regard des avertissements anticipateurs présentés par Bertrand Valiorgue.  « Cela fait froid dans le dos » déclare-t-il, pour aussitôt ajouter plus optimiste : « On se rend compte qu’on est déjà dans une démarche régénératrice sans le savoir. C’était plutôt tourné vers la productivité, mais finalement, cela rejoint la recherche d’une filière à impact ».

Cyril Hannon, ingénieur agronome chez Arvalis-Institut du Végétal, confirme que les producteurs appliquent déjà des pratiques qui ressortent de l’agriculture régénératrice. Le producteur sait s’adapter pour continuer de produire dans son contexte pédoclimatique et à l’échelle de l’exploitation, mais cela signifie aussi prendre des risques pour innover et améliorer son impact tout en conservant un modèle économique viable.

Dans ce sens, la recherche à l’adaptation au changement climatique réalisé au sein d’ARVALIS – institut du végétal est une clé de réussite pour accompagner les producteurs. Notamment dans ce contexte où l’apparition de nouveaux bioagresseurs (cicadelle, acarien, taupins) viennent impacter le rendement et la qualité des tubercules, comme en témoigne Cyril Hannon. De nouvelles solutions seront mises à contribution par la génétique, le changement de pratiques, la création de nouveaux outils, mais cela demande un certain pas de temps avant d’être mis en place.

Le défi imposé par le changement climatique reste complexe. En ce qui concerne l’agriculture régénératrice, il est de taille pour la pomme de terre qui se développe dans le sol ! Or l’agriculture régénératrice est orientée vers la régénération des sols, la séquestration du carbone dans le sol par des pratiques adaptées et notamment des couverts végétaux, la résilience des sols… Ainsi, pour la pomme de terre, l’amélioration du stockage de carbone est plus difficile. Pour autant, les producteurs de pommes de terre travaillent sur des leviers d’intégration comme les cultures intermédiaires, la diminution du travail du sol et l’allongement des rotations

Un autre enjeu que le stockage du carbone reste vital dans un contexte d’épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et caractérisés, il s’agit de l’accès à l’eau. La pomme de terre souffre du stress hydrique et nécessite un apport régulier d’irrigation. Les producteurs développent des techniques, parfois onéreuses, pour réduire leur consommation en eau et ainsi garantir de pouvoir disposer de cette ressource tout au long du cycle de culture.

Préserver et poursuivre la culture des pommes de terre est particulièrement important dans le cadre des besoins en alimentation saine et nourrissante pour une population mondiale en progression. Rappelons que la pomme de terre reste une des solutions pour lutter contre la faim dans le monde tout en maitrisant les coûts énergétiques. En effet, elle peut être directement consommée à la sortie du champ ne nécessitant pas d’étapes intermédiaires (hormis la cuisson), limitant considérablement les émissions de gaz à effet de serre (GES). La pomme de terre est un produit fabuleux, rappelle Dominique Père, elle représente une solution d’avenir. Elle possède un rendement énergétique des plus performants avec une utilisation des ressources des plus efficientes[1] tout en apportant des valeurs

nutritives indispensables. La Chine s’oriente vers la culture de pommes de terre dans une alternative au riz, gros consommateur d’eau pour une moindre valeur nutritive.

La filière dans son ensemble, accompagné des pouvoirs publics, est donc en capacité d’agir pour faire progresser l’ensemble des acteurs en prenant en compte les problématiques rencontrées à chaque étape. La pomme de terre de demain sera le fruit d’un travail collectif entre producteurs, négociants, représentants du commerce, sans oublier le consommateur. Les exigences des consommateurs et des citoyens, traduites dans les cahiers des charges de commercialisation ou d’obtention de labels, font peser sur la filière des injonctions parfois contradictoires en termes de méthodes de production et de mise en marché. Les consommateurs n’en n’ont pas souvent conscience. La filière a des obligations vis-à-vis de ces exigences mais elle a aussi des droits. Les producteurs, comme les opérateurs de la filière, doivent pouvoir répercuter dans leurs prix les surcoûts liés à ces exigences.

Un défi à relever

La filière pommes de terre cherche toujours à apporter au consommateur un produit avec le meilleur rapport qualité prix. Pour Bertrand Valiorgue, cela n’est pas suffisant. Elle doit conjuguer avec son impact environnemental et un nouveau rapport s’installe : le rapport qualité/prix/impact.

Aujourd’hui il existe différentes gammes de pomme de terre proposées au consommateur. En magasin, on retrouve de la pomme de terre lavée, brossée, spécial frites, purée, four, sans résidus de pesticides, biologique… le choix est large. Ces différentes gammes proposées nous amènent à différents niveaux de qualité, du choix culinaire au critère de production, en passant par l’esthétique …

Une nouvelle variable doit désormais entrer en ligne de compte dans le choix proposé au consommateur : l’impact environnemental positif. Et pour intégrer cette nouvelle variable, la filière va devoir prendre des risques et les consommateurs vont devoir faire des choix. La nouvelle équation est : comment présenter un produit avec la plus belle qualité, un impact positif sur son environnement et un prix attractif ? Voilà le défi que la filière doit relever tout en conservant à la pomme de terre ses côtés frais, plaisir et convivialité.